Le Roman

Aujourd’hui, je fais un pas un peu spécial : je partage avec vous le premier chapitre de mon roman. C’est un projet qui me tient à cœur depuis longtemps, né de mille idées griffonnées, de silences habités et de nuits trop courtes.
Publier ces premières pages, c’est comme entrouvrir une porte : je vous invite à y entrer, à découvrir les personnages, les décors, les tensions qui s’installent. J’espère que cette lecture vous emmènera quelque part, même juste un instant.
Bonne lecture — et si le cœur vous en dit, laissez un mot. Vos retours sont précieux.
Chapitre 1
À l’heure où le crépuscule déployait son manteau pourpre sur les terres de Bretagne, la route sinueuse qui menait à Landerneau s’enveloppait de mystères et de silences. Le chemin, bordé de grands chênes aux silhouettes imposantes, semblait un passage sacré où le temps suspendait son cours. Les branches entrelacées formaient une voûte naturelle, et les feuilles frémissantes chuchotaient des secrets dont nul être vivant ne pouvait se souvenir.
Le murmure d’un ruisseau invisible, dissimulé par les fougères et les pierres moussues, accompagnait le chant mélancolique des oiseaux nocturnes, qui émergeaient de leur retraite pour célébrer l’avènement du soir. Parfois, le cri plaintif d’un hibou s’élevait, ajoutant une note de mystère à cette symphonie crépusculaire. La route, bien que rude et parsemée d’embûches, se parait d’une beauté sauvage et indomptée, où chaque pas résonnait comme une prière à la gloire des siècles passés.
L'air chargé de l'odeur âcre de la terre humide, mêlée au doux parfum des bruyères en fleur, était soudainement envahi par les effluves pénétrants du cuir, du crottin et de la fumée. Le silence sacré de la nature était maintenant rompu par le bruit sourd d’un cortège inlassable de soldats épuisés, avançant avec la langueur de ceux qui ne désirent qu'un repos bien mérité. Leurs pas lourds résonnaient comme une mélodie de fatigue et de résignation dans la quiétude d'une campagne qui leur paraissait désormais trop familière.
Les charrettes aux roues grinçantes, tirées par des chevaux usés par les marches interminables, avançaient avec une lenteur solennelle. Les conversations enthousiastes et les rêves de départ s'étaient dissipés, laissant place à des murmures et des grognements, témoins d’une lassitude bien ancrée. Seuls les rêves intérieurs permettaient encore aux jambes engourdies d'accomplir leur devoir.
Soudain, le bruit d'un galop lointain brisa l’harmonie monotone. Un jeune officier, le visage marqué par la poussière s’écria :
- « Capitaine ! Capitaine ! »
- « Enseigne de Brieuc, demanda le capitaine, les sourcils froncés.
- « Un message urgent de l’arrière-garde, mon capitaine. Un wagon est à l’arrêt, il ne peut plus avancer, il faut le réparer. »
- L’homme se tourna vers la droite,
- « Lieutenant, établissez le campement pour la nuit. Je pense que ceci clôt notre journée »
- « Très bien, mon capitaine, » répondit le lieutenant en s'inclinant légèrement.
- « Enseigne Dubois, plan d’action ? »
- L’enseigne Dubois s’avança et répondit : « Le vieil André dit qu’il est incapable de le réparer. Nous sommes à quatre lieues de Landerneau. Je propose de voir si un charron pourrait nous aider. »
- Le capitaine hocha la tête, réfléchissant rapidement. « Vu le retard de nos troupes, réglez cela au plus vite. Nous partirons pour Brest à l’aube. Vous avez la charge de ce wagon. »
Alors que les ordres aboyés et les cliquetis des sabres et des mousquets entrechoqués étincelaient, l’enseigne du Brieux se fraya un chemin vers le wagon endommagé.
- Alors Jean, tu vas les porter à la pogne jusque Brest, ces boulets ? lui lance un vieil homme à la tignasse clairsemée.
- "Moi non, mais vous oui, ordre du capitaine."
- "Hein !" Grognèrent les hommes autour du wagon
- Tu ne survivrais pas, mon brave André. Mes connaissances en roulotte sont lacunaires et je ne tiens pas à moisir ici trop longtemps. Tu m’accompagne jusque Landerneau, nous y trouverons bien un charron. Caporal Jacques, gardez le bahut avec la 4eme. La brigade repartira demain matin vers Brest. Vous m’attendrez ici jusqu’à mon retour.
- Ce n’est plus de mon âge," bougonna André.
- Arrête de te plaindre, tient pour te motiver, une chopine t’attend de ma part.
- Ciel... un élan de volonté m'envahit soudainement, répondit André avec un sourire fatigué.
Après une petite d’heure de cheval, le duo contrasté arrivait au trot par la porte de Landerneau depuis un chemin longeant l’Elorn. Bien que Jean et André n’aient jamais mis les pieds ici, ils continuèrent instinctivement jusqu’au quai. La nuit était maintenant tombée et une lumière lointaine semblait leur indiquer une auberge ou une taverne située sur une place.
En entrant dans l'auberge, Jean et André furent accueillis par l'aubergiste, un homme trapu à la moustache grisonnante et à l'air bourru. Ses sourcils broussailleux se fronçaient en permanence, et ses mains épaisses étaient couvertes de cicatrices témoignant d'années de travail ardu.
"Bonsoir," dit Jean en se dirigeant vers le comptoir.
L'aubergiste les regarda un instant, puis, sans un mot superflu, leur indiqua l'écurie à l'arrière d'un geste brusque.
"Merci," répondit André, essayant de capter le regard de l'aubergiste.
Un palefrenier, un jeune garçon frêle et un peu gauche, vint à leur rencontre. Ses vêtements étaient un peu trop grands pour lui, et il semblait toujours sur le point de trébucher. Malgré son apparence maladroite, ses mains étaient étonnamment habiles lorsqu'il prit les rênes du cheval et les conduisit aux stalles. Les deux voyageurs entrèrent enfin dans l'auberge.
À l'intérieur, ils se dirigèrent vers le bar, enveloppés par une chaleur réconfortante et l'odeur enivrante du cidre fraîchement versé, dans une atmosphère chargée des senteurs de bois brûlé, de pain chaud et de viande rôtie. La lumière tamisée des chandelles et l'ambiance rustique leur procurèrent un sentiment de répit.
L’aubergiste, l'homme aux sourcils imposants, les aborda avec un sourire en coin : "Que puis-je pour vous, messieurs ? Vous ressemblez à deux poules perdues dans la gadoue."
Avant que Jean ne puisse prononcer un seul mot, André saisit l'occasion : "Deux chopines, du pain et deux saucissons."
Jean éclata de rire, se tournant vers André. "Eh bien, je vois que tu as retrouvé ton énergie."
L'aubergiste les regarda avec amusement et hocha la tête. "C'est noté. Prenez place, je vous apporte ça tout de suite."
Les deux hommes s'assirent à une table près du feu, savourant la chaleur et le réconfort de l'auberge.
"Un cochon et un faisan pour terminer, mon cher André ?" demanda Jean avec un sourire en coin.
André sourit béatement puis reprit un air plus sérieux : "On n'a qu'une peau, faut la rincer. T’as une idée d'où on va encore être trinqueballés ? Plein les bottes de ces mystères, ça me chauffe les oreilles."
Jean haussa les épaules et répondit : "Même si je le savais, je ne te le dirais pas, mais en l’occurrence, je ne sais pas."
André plissa les yeux, son regard scrutateur : "Vu le ramdam, c’est loin ! Taper sur les Anglais dans les Antilles ! Du rhum, des plages et des belles..."
Jean secoua la tête, un sourire amusé sur les lèvres : "Te voilà bien fringant, mais je crains de devoir refréner tes ardeurs. Tu penses qu’on aurait embarqué des vêtements d’hiver pour les Antilles ? Réfléchis un peu."
André, pas convaincu, ajouta : "À ce qu’on dit, une fois le soleil couché, ça peut geler."
Jean soupira : "Nous sommes d’accord sur une chose, ça ne peut être que contre les Anglais. Je parie sur le Québec, à moins que nous soyons embarqués dans quelque chose de plus grand. Mais avec notre flotte..."
Les deux hommes échangèrent un regard inquiet mais néanmoins complice, chacun ruminant sur les incertitudes de leur prochaine mission. L'aubergiste, quant à lui, s'affairait à leur apporter de quoi calmer leur faim.
- "Dites-moi, monsieur," demanda Jean, "nous recherchons une personne capable de réparer une roue. Vous connaîtriez quelqu’un ?"
- L’aubergiste posa les plats sur la table avec un sourire en coin. "Vous n’avez donc pas ce genre de personne dans l’armée ?"
Les yeux d’André s’abaissèrent vers la table
- On n'en a, en effet, peut-être pas les plus compétents répondit Jean en ricanant
L’aubergiste réfléchit un instant, essuyant ses mains sur son tablier.
"Je vous dirais bien, mes bons amis, que le fils de notre estimé charron se trouve attablé dans ce coin ombragé, mais hélas, je crains fort qu'il ne soit guère en état."
Un bruit désagréable de grattement de pied de chaise crissa ; André, fidèle à sa discrétion, se retourna bruyamment. Autour d'eux, le murmure des conversations et le cliquetis des couverts contre les assiettes créaient une ambiance animée.
Jean se leva élégamment sans un bruit, son regard se fixant sur l'ombre dans le coin de la salle.
André, tourmenté entre finir son repas ou suivre, décida de prendre sa pitance et suivit son supérieur tout en mâchouillant son précieux saucisson.
Les deux hommes s'approchèrent de la table. Le jeune était affalé sur une petite table, la tête enfouie dans ses bras, seule une main dépassait, tenant fermement un grand verre de bière.
- " Monsieur, nous avons un problème ! Et il s’avère que la destinée nous a mis entre vos mains, déclara Jean d'une voix calme mais ferme.
L’homme releva lentement sa tête et jeta un regard vitreux sur notre étonnant duo, lâcha sa pinte et replongea dans ses bras.
"Monsieur, je me dois d’insister, nous avons besoin de vous. Notre wagon est endommagé et nous avons besoin d’une personne pour nous aider. J’ai ouï dire que vous êtes le fils du charron en ces coins," reprit Jean avec insistance.
Je ne suis pas en état d’aider qui que ce soit, et puis le charron, c’est mon père, pas moi, répondit-il d'une voix pâteuse.
"Vous n’allez tout de même pas offenser le cousin du Roi," lança André en se redressant, jouant le tout pour le tout.
Alors que Pierre levait les yeux vers le ciel, l’homme esquissa un rictus et se releva lentement
- Le cousin du Roy dites-vous... Sans escorte... Au beau milieu de la nuit... dans ce trou perdu... et en plus, accouplé d’un grigou mal culoté...
Pierre saisit l’occasion. "N’écoutez point ce rustre. Permettez-moi de me présenter : je suis Pierre Du Brieuc, sous-lieutenant du Régiment d’artillerie Gribeauval. Un de nos wagons de munition est à l’arrêt, l’énergumène à vos côtés ne parvient pas à le réparer et nous devons regagner Brest au plus vite par ordre du Capitaine."
Hum, elle est loin votre cariole ? Demanda l’homme maintenant assis bien droit
A 4 lieux d’ici sur le chemin de Brest vers Morlaix
Vu l’heure, je suppose que cela peut attendre demain ?
Jean réfléchissait, tandis qu'André le regardait, pendu à ses lèvres, espérant une réponse affirmative.
Bien que Jean ait un bon contact avec les hommes du régiment et de l’intendance, il se montrait des plus zélés lorsqu’il s’agissait de mener à bien une mission, aussi insignifiante soit-elle. Il répondait toujours à cela : « Je n’ai ni la noblesse d’un Bourbon, ni la bourse d’un Rohan, l’honneur et mon travail sont mes seules armes. »
Voyant l’hésitation de Jean, André interpella l’homme : "Je ne sais pas vous, mais réparer un moyeu la nuit, moi, ça, je ne sais pas faire."
L’homme acquiesça lentement, clignant des yeux pour essayer de se concentrer, et répondit en se moquant gentiment :
"Peut-être que votre chef me tiendra la chandelle... Repassez demain à la première heure. Mon père n’est pas présent, mais mon frère et moi tenons la boutique. André, c’est bien ça ? Vous m’expliquerez votre problème en détail. Pour trouver l’échoppe, sortez de l’auberge, prenez à gauche, puis encore la première route à gauche, marchez une dizaine de toises, vous ne manquerez pas la charronnerie."
André hocha plusieurs fois de la tête.
"Voilà qui est réglé," rétorqua Jean. "Vu l’heure, allons voir si l’aubergiste a une place pour la nuitée."
Jean et André se dirigèrent vers le bar, où l'aubergiste nettoyait des verres d'un air absent.
André s'avança avec son grand sourire, impatient de dormir dans un vrai lit. "L'ami ! Une place pour la nuit," dit-il joyeusement.
Jean posa une main ferme sur l'épaule d'André, le faisant taire doucement mais fermement. Il s'avança vers l'aubergiste, son expression sérieuse contrastant avec la jovialité d'André. "Nous aurions besoin de deux lits pour la nuit," dit Jean, en sortant une bourse bien garnie de sa poche. "Je paierai pour nous deux."
L'aubergiste posa son verre et sourit. "Deux lits, vous dites ? Nous avons ce qu'il vous faut. Pas de soucis pour le paiement, je vois que vous êtes préparés."
Jean hocha la tête et ouvrit la bourse, laissant apparaître quelques pièces brillantes. Le son des pièces tintant sur le bois sembla convaincre l'aubergiste.
"Deux lits, c'est à l'étage. Vous montez l'escalier, première porte à droite. C'est modeste, mais propre et confortable."
André, toujours de bonne humeur, tapa amicalement sur le comptoir. "Merci, mon bon monsieur ! Ça nous ira parfaitement. Et si vous avez encore un peu de cette bonne bière, je suis preneur !"
L'aubergiste, avec un sourire complice, hocha la tête. "D'accord, d'accord, je vous apporte ça. Vous êtes chanceux, il me reste encore un fond de bouteille."
"À notre hôte généreux !" s'exclama André, levant son verre avec enthousiasme.
Jean sourit légèrement en observant André, avant de se tourner vers l'aubergiste. "Merci pour votre hospitalité. Nous avons une longue journée devant nous."
Alors que l'aubergiste versait la bière, Jean et André se détendirent. Jean était reconnaissant d'avoir trouvé une possible solution à leur mission, tandis qu'André se réjouissait à l'idée de dormir enfin dans un vrai lit.
André, avec son enthousiasme habituel, leva son verre vers Jean en signe de gratitude. "À nous ! Et à cette nuit de repos bien méritée."
Jean acquiesça, un sourire se dessinant sur ses lèvres. "À nous," répondit-il, levant son propre verre. Il prit une gorgée de la bière fraîche et savoura son goût robuste, appréciant enfin la chaleur de l'auberge et la camaraderie de son compagnon.
La lumière des chandelles dansait sur les murs de la salle commune, créant une ambiance chaleureuse et apaisante. Le bruit des conversations, le tintement des verres et l'odeur du bois brûlé se mélangeaient pour former une atmosphère réconfortante.
Jean jeta un regard autour de lui, observant les autres clients de l'auberge qui profitaient également de la soirée. Il se sentit un instant en paix, malgré les défis qui les attendaient le lendemain. Les rires et les murmures des autres clients lui rappelaient que, malgré les troubles, il existait encore des moments de bonheur simple.
Ils trinquèrent une dernière fois, savourant ce rare moment de répit. La promesse d'un nouveau jour, rempli d'espoir et de défis, les attendait. Mais pour l'instant, ils se laissèrent bercer par la douce quiétude de l'auberge, appréciant pleinement cet instant de camaraderie et de paix.